La question des rythmes scolaires : Vigilances et repères

Publié le par Ecole du Sacré-Coeur

A. Le rapport au temps et son organisation, une question de société

On ne peut réfléchir au temps scolaire sans prendre, d’abord, un peu de recul et prendre conscience que nous sommes d’abord sur une difficulté de société avant d’être sur une difficulté scolaire. Sans développer ici une analyse sociologique ou anthropologique, nous voudrions évoquer, de façon forcément trop simpliste, des évolutions dans les comportements des adultes, que l’on est obligé de prendre en compte quand on réfléchit au temps scolaire.

Force est de constater chez ces adultes, une agitation et une dispersion dans un stress grandissant. Il n’est pas rare d’écouter des enfants qui assistent parfois un peu médusés à l’agitation d’adultes, enseignants, parents, surmenés, sautant d’une activité à l’autre, sans cesse en mouvement, dans un inconfort et un stress qui « bousculent » des enfants qui ne vont jamais assez vite, n’en font jamais assez.Caricature, bien sûr, mais qui essaie d’alerter sur une tendance qui doit nous interroger.

Une nouvelle famille de diagnostics a vu le jour au plan médical, qui étiquette certains enfants comme hyperactifs. ceux-ci ne sont-ils pas aussi des enfants-symptômes d’une société elle-même hyperactive ? Mais en tant qu’adultes nous vivons d’autres contradictions dans notre rapport au temps. nous demandons, ainsi, de plus en plus de temps pour notre sphère privée, nous voudrions des « week-end infinis » et nous enfermons, corsetons nos vies professionnelles et donc éducatives dans des rigidités d’horaires dans lesquelles tout doit être organisé, planifié dans une apparente angoisse de voir surgir l’imprévu. Il est à cet égard des emplois du temps d’enfants, le mercredi, impressionnants de saturation d’activités éducatives ou non.

Enfin, il serait facile de dresser le tableau d’un certain nombre de travers de nos modes de vie qui semblent nous pousser dans une sorte de course en avant. course qui nous conduit à vouloir, sans cesse, remplir nos emplois du temps professionnels ou privés dans une sorte de boulimie d’activités toujours plus grande.

Pourquoi rappeler ici ces évidences avant d’essayer de réfléchir au temps de l’enfant ? Tout simplement parce que l’on ne pourra pas avancer sur celui-ci si nous ne nous posons pas ensemble pour réfléchir à notre propre rapport au temps.

B. Le temps de l’enfant

Si ce temps de l’enfant dans la journée – à l’école comme à la maison – semble souvent malmené et peu adapté, y réfléchir n’est pas aussi simple qu’on ne le dit, et il nous faut nous garder de tout simplisme, car il nous faut nous garder de deux écueils :

– faire du temps de l’enfant la simple résultante par défaut du temps des adultes et des structures ;

– réduire le temps de l’enfant à un seul paramètre : les enjeux chronobiologiques, par exemple.

Nous avons relevé dans nos observations, et sans prétendre faire le tour des choses, cinq tensions, cinq paradoxes que le « temps long » vécu à l’école maternelle et à l’école primaire pourrait permettre de mieux vivre et mettre en oeuvre :

  • La régularité et la souplesse

L’une des difficultés, qui revient le plus dans la bouche des enseignants, tient dans l’accompagnement, dès l’école maternelle, des enfants qui témoignent de rythmes de développement différents. Souvent le temps, tant familial que scolaire, est fait de rigidités qui vont accroître ces difficultés. Même si leur mise en oeuvre est encore beaucoup trop faible, rappelons-nous que les cycles devraient être le coeur de notre organisation et de nos modes d’enseignement. Oui, les enfants ont, à la fois, besoin de la régularité qui permet de s’installer

de façon sereine et sécure dans les apprentissages, et de la souplesse qui permet de s’adapter aux innombrables bifurcations du parcours d’apprentissage de chacun.

  • La continuité et la variété

Il est inutile de décrire longuement la discontinuité, le « zapping » qui caractérise nos vies aux uns et aux autres. Or, cette tendance moderne, que nos collègues du secondaire vivent au quotidien dans des emplois du temps hachés et morcelés, gagne peu à peu l’école. Pourtant, l’enfant éprouve un besoin paradoxal qui désoriente autant les enseignants que les parents parfois. Il n’y a pas d’apprentissage, redisons cette évidence, car elle est aujourd’hui mise à mal, sans une réelle continuité des objets d’apprentissage, des activités proposées, sans un temps long, souvent inutilement haché par l’obsession de l’évaluation qui empêche parfois l’enfant de se situer dans les apprentissages. Parents trop angoissés des résultats, enseignants ayant le sentiment d’être prisonniers de logiques d’évaluation parfois mal maîtrisées ou excessives, cassent, à leur corps défendant, bien sûr, cette continuité. Mais cette continuité ne fonctionne qu’au prix de la prise en compte de ce qui peut paraître, à tort, comme son contraire : une réelle variété des modes d’apprentissage et des situations proposées. L’éducation est toujours ainsi un subtil dosage, un équilibre à trouver entre des pôles apparemment contradictoires.

  • La lenteur et l’intensité

Le quotidien de l’école est de plus en plus traversé par la question récurrente du rythme de développement des enfants. À écouter les enseignants, on a le sentiment que les écarts se creusent : de plus en plus de « précocité » d’un côté, de plus en plus de « lenteur » de l’autre... et des enseignants qui se disent écartelés ! Le temps scolaire, que le législateur a eu la sagesse de penser – au moins dans les textes – en cycles, doit rester ancré sur l’idée de patience, de progressivité, et refuser la course à l’anticipation qui voudrait faire grandir les enfants trop vite. On a parfois le sentiment devant certains emplois du temps d’enfants, tant à l’école qu’à la maison, que nous sommes en train de « voler l’enfance » de certains d’entre eux. On aurait envie parfois de déplacer certains panneaux que l’on trouve aux abords de l’établissement portant l’injonction : « Ralentir école ! » et de les installer – tant pour les parents que pour les enseignants – à l’intérieur de l’école. Nous avons à reconstruire ensemble, dans un travail conjoint école-famille, une forme de sagesse et de patience éducatives.

Cela ne nous exempte pas d’oser faire varier les rythmes proposés moins en termes de vitesse que d’intensité. Les temps de silence, les temps d’échanges collectifs intenses, les temps de recherche individuelle, les temps de « récréation » au sens étymologique, les temps de pause, les temps de concentration « absolue », les temps de partage et de régulation, etc. sont autant de temps différents qu’il nous faut tresser dans ce premier lieu dans lequel l’enfant vient faire société : la classe.

  • La projection et le moment présent

Certains adolescents et jeunes adultes rencontrent des difficultés grandissantes pour rentrer dans une logique de parcours que l’on continue à penser autour de l’idée de projet, de projection dans un avenir. Beaucoup de ces jeunes se déclarent « en panne » dès qu’il s’agit de faire de l’avenir un moteur de leur action, de leurs apprentissages dans le moment présent. C’est un enjeu dès la petite enfance, non pas d’anticiper ces temps de choix et de détermination, comme on a trop tendance à le faire, mais de construire lentement et patiemment, à chaque étape de développement de l’enfance, des mouvements d’allers et retours que ce soit dans les apprentissages purement cognitifs, dans la vie collective, dans les objets d’investissement proposés, une habitude de se situer dans le temps, de jouer avec le passé, le présent, l’avenir. Et cela sans poser la question du choix ni de « ce que tu feras plus tard ». Or l’on constate que si ces apprentissages sont souvent très présents durant les années de maternelle, ils s’affaiblissent anormalement à l’école primaire... et au collège.

  • L’habitude et la découverte

Un dernier paradoxe que nous voudrions évoquer, une tension à faire vivre de façon subtile à l’enfant dans l’ensemble de sa vie, tant à l’école que dans la famille, tient à l’équilibre à trouver entre les nécessaires routines qui construisent la sécurité dans les modes de vie, de socialisation et d’apprentissage, et la stimulation d’une curiosité, d’un appétit de découverte. nous devons prendre conscience de la frilosité dans laquelle beaucoup d’adultes pensent l’éducation aujourd’hui. Nous avons à faire de nos enfants, avant toute chose, des explorateurs passionnés du monde qui les entoure. Les savoirs scolaires sont des fenêtres sur le monde et l’on ne vient pas à l’école pour fermer portes et fenêtres dans un huis-clos qui fait rapidement perdre le sens de ce que l’on apprend. Nous le disons, ne le cachons pas, avec une certaine gravité, préoccupés par la difficile question des programmes quand ils ne sont pas éclairés par cette question, il nous arrive, en tant qu’enseignants de ne plus être disponibles à ce qui est le cœur de la réussite à venir de nos élèves : leur capacité à se questionner, à s’interroger, à s’étonner, à s’émerveiller. Parents, enseignants, gardons-nous de ce point de vue notre âme d’enfant pour regarder et comprendre le monde d'aujourd’hui ? Nulle naïveté dans ceci, la simple prise de conscience que le monde difficile, dur que vivent beaucoup d’adultes peut nous entraîner à une illusion optique faite d’excès de pessimisme que Paul Malartre avait bien compris en nous demandant d’aimer l’avenir des jeunes. Aimer le monde d’aujourd’hui pour le comprendre, pour le changer, l’interroger pour en saisir la signification aide les enfants à grandir sereinement et nous permet d’avoir les exigences les plus fortes pour les emmener dans des apprentissages de plus en plus complexes.

C. Le temps scolaire

Comme nous avons commencé à le faire, nous voudrions revenir sur ce qui nous paraît être les ingrédients fondamentaux pour penser le temps de l’enfant à l’école. Il nous semble que dans l’application des récentes réformes ministérielles, dans les compromis trouvés parfois difficilement entre adultes pour penser le temps scolaire, on a tendance à réduire les ingrédients à prendre en compte du point de vue de l’enfant.

La première difficulté qui s’offre à nous est de ne pas le penser globalement. Comment penser la semaine sans penser la journée dans sa globalité qui ne se limite pas à la vie dans la classe ? Au risque de paraître nous répéter, reparcourons ensemble ces ingrédients qui devraient permettre à chaque équipe de construire sa propre recette dans le respect de l’âge et du rythme de développement des enfants :

– les temps de transition et d’articulation toujours négligés et raccourcis ;

– les temps d’apprentissage conduits et dirigés dans lesquels on aurait à distinguer les temps courts et intenses de concentration absolue, les temps d’interactions entre pairs, les temps d’exploration individuelles et collectives, les temps de reprise, de consolidation, etc. ;

– les temps d’apprentissage entre pairs dans les interstices : la cour de récréation, la cantine, etc. dont on sous-estime souvent la portée et l’efficacité éducatives ;

– les temps de pause, de repos, de silence dans lesquels on quitte la trop grande intensité des

échanges et des interactions entre élèves, où l’on s’apaise, où l’on se sécurise ;

– les temps de prise de distance, de relecture, d’évaluation au sens étymologique : on l’on donne de la valeur à ce que l’on a fait, à ce que l’on a appris tant individuellement que collectivement ;

– les temps de fête, de célébration où l’on construit positivement une appartenance commune qui donne une place à chacun.

Le temps scolaire, comme le temps familial, connaît des pressions grandissantes. Si l’on prend l’image du ressort, on donne le sentiment de vouloir en permanence comprimer le temps pour le charger de toujours plus d’activités, de tâches dans une fuite en avant extrêmement préoccupante. Or, il arrive au temps scolaire ce qui arrive à tous les ressorts excessivement comprimés : vient le moment où dans les attitudes, les comportements, la capacité avec les autres, la capacité à apprendre, il se détend... parfois brutalement, parfois avec excès. La réforme dite des 108 heures a été, de ce point de vue, édifiante. Chargée de bonnes intentions, de la volonté d’individualiser le temps pour certains enfants, elle a souvent abouti à un alourdissement et à une dispersion du temps vécu tant par les enfants que par les enseignants.

Ne sommes-nous pas en train, dans une sorte de stress collectif quant à la réussite de ces enfants, de charger le temps scolaire à l’excès ? Plus grave encore à nos yeux, ne sommes-nous pas en train de l’appauvrir en réduisant la palette de tous ces différents temps que nous avons essayé d’évoquer plus haut ?

D. Le temps de l’enseignant

Il est sans doute de plus en plus urgent de se poser ensemble, en équipe, pour y réfléchir et freiner une sorte de fuite en avant qui génère de plus en plus de plaintes et d’insatisfactions.

Dans ses contradictions, le temps de l’enseignant est le symptôme et le révélateur des contradictions de notre vie en société.

Nous ne devons pas perdre ce qui fait l’essence et, quoi qu’on en dise, la force exceptionnelle de la culture et de l’organisation de l’enseignement en maternelle et au primaire : la durée et la continuité de la présence des enseignants au même groupe-classe sur un temps long. Cette durée et cette continuité devraient autoriser la souplesse évoquée plus haut pour permettre de faire vivre ces multiples composantes du temps de l’élève et du groupe-classe que nous avons essayé de décrire. Or, cette logique est remise peu à peu en cause, de façon très variable selon les établissements, de deux manières :

– d’une part, par l’adoption de la logique du secondaire et la multiplication d’intervenants – même si on en comprend les apports et l’intérêt ;

– d’autre part, par la multiplication des sollicitations parentales, ministérielles, d’inventer d’« autres temps » notamment de remédiation, de soutien – là encore, il ne s’agit pas de contester a priori l’éventuel bénéfice que l’on peut en tirer.

Nous sommes, pour notre part, très impressionnés, par le changement brutal que la récente réforme des 108 heures semble avoir induit dans la perception de nombre d’enseignants de l’école. Fait nouveau, aujourd’hui, on compte son temps. Fréquemment, les enseignants que nous avons écoutés nous ont dit avoir le sentiment d’un déséquilibre, le temps entre enseignants semblant se réduire au profit d’une course pour mettre en place de nouveaux temps de soutien, de remédiation, d’individualisation selon les cas. Plus grave encore, nos interlocuteurs nous ont donné le sentiment de vivre un temps subi et non un temps choisi, assumé. On le sait, la question du temps est une question extrêmement sensible dans les représentations qu’ont les enseignants de leur métier. On n’en a sûrement pas mesuré toute la portée symbolique dans les dernières années.

Il est sans doute aujourd’hui temps de donner réellement les moyens, localement, à chaque équipe de se poser, de s’écouter mutuellement, d’écouter les parents et ensemble, dans une semaine et une journée plus vraisemblable, de desserrer ce temps-ressort comprimé à l’excès.

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